Une gladiature funéraire
Les plus anciens témoignages littéraires remontent à la Grèce antique. Dans l’Iliade, sous les murs de la ville de Troie, afin de célébrer les funérailles de Patrocle, deux héros, Ajax et Diomède, prennent les armes et engagent le combat en l’honneur du défunt. Le combat est tout de même arrêté par l’intervention d’une troisième personne avant qu’il ne prenne fin par la mort de l’un des guerriers. Voici les premières traces d’une gladiature funéraire, même si elle n’en porte pas encore le nom.
Plus tard, en Italie des IV° et III ° siècle avant Jésus Christ, les Étrusques ont les mêmes pratiques. Sur les parois de sépultures apparaissent les cérémonies funèbres de notables. Chaque fois, deux hommes équipés d’un bouclier et de lances (et d’une épée au fourreau) sont représentés. Tout laisse penser que les combattants sont deux volontaires s’infligeant parfois de grave blessures sous les yeux d’un arbitre. On suppose ainsi que les premières munera (combats de gladiateurs) apparaissent en Italie du sud. En 264 a.v. J.C., Rome voit s’organiser son premier munus.
Une gladiature ethnique
Après sa victoire contre Carthage lors de la seconde guerre punique, les succès militaires s’enchaînent presque sans interruption en Grèce, en Asie, en Afrique, en Espagne et en Gaule. Chaque triomphe entraîne la soumission de peuples et un lot de captifs et d’esclaves toujours plus nombreux. Cela change les données de la balance économique et induit un afflux important d’esclaves sur le marché, et donc une chute relative du prix de ceux-ci. Le travail n’étant pas extensible, la gladiature devient une solution commode pour désengorger les marchés d’esclaves au lendemain des batailles. Ainsi, l’utilisation de prisonniers de guerre comme gladiateurs à Rome est certaine et permet d’augmenter considérablement le nombre de combats au cours d’une présentation (de trois pairs de combattants en 264 a.v. J.C. à soixante paires en 183 a.v. J.C.).
En 65 a.v. J.C., César offre trois cent vingt paires de gladiateurs lorsqu’il prend les fonctions d’édile de Rome. Cette croissance constante tend à prouver que la gladiature romaine change une première fois de nature durant cette période en même temps qu’elle change d’échelle. Les guerriers vaincus peuvent faire d’excellents gladiateurs et on voit ainsi apparaître ce que l’on peut appeler une « gladiature ethnique » car ils combattent avec les armes et les techniques propres à leurs nations.
A cette époque-là, nous sommes certains de l’existence de trois types de gladiateurs : les samnites, les gaulois et les thraces, tous trois évoquant les triomphes des légions romaines.
Les samnites furent les premiers à apparaître. Anciens adversaires de la ville de Capoue, leur défaite sonne l’apparition de la première armatura (= panoplie) fixe de gladiateur. Tite Live en fait une description assez précise. L’armatura se compose d’un cardiophilax (=protection de torse), d’une ocrea (protection de tibia) à la jambe gauche uniquement, d’un casque surmonté d’un panache (arrangement de plume) et d’un bouclier plus évasé vers le haut et qui se termine en coin vers le bas.
L’apparition de l’armatura gauloise permet de donner un air nouveau à la gladiature. Les celtes qui furent de farouches guerriers contre Rome apparaissent alors dans les munera avec leur équipement de combat habituel. On les voit ainsi représentés de braies (pantalon) celtes, torse nu, tête nue et barbue (pour donner un aspect barbare) équipés de boucliers plats munis d’une spina (sorte de vertèbre du bouclier) et armés d’une longue épée celte. Cet équipement évolue au fil du temps et s’éloigne de ses origines ethniques. Ainsi les gladiateurs gaulois finissent par porter un casque romain d’inspiration celte porté par les légions de César et une épée courte (pugio).
Enfin, plus tardivement, apparaît le gladiateur thrace. Cette troisième armatura est une pure invention romaine qui renvoie probablement aux victoires romaines en Orient contre les rois de Macédoine (en Grèce). Deux types de gladiateurs thraces sont élaborés à la fin de la république, évoquant tout autant le phalangiste macédonien (avec un bouclier rond) que le guerrier oriental au sens plus général.
Le premier type de thrace est doté d’un petit bouclier carré et très cintré, la parma, dont la taille est compensée en protection par le port caractéristique de deux grandes ocreae (= jambières) qui remontent jusqu’à mi-cuisse, au lieu d’une seule petite pour les autres gladiateurs. Il est également équipé d’une sica (dague à lame recourbée) , dont les formes rappellent celle de la kopis grec ainsi que la falcata typique des guerriers ibériques.
Le second type de thrace se rapproche nettement du premier par le port des mêmes grandes ocreae et du même casque attique (grec). Il se différencie par la forme hémisphérique de son bouclier qui reste bien plus petit que celui d’un phalangiste grec et par l’utilisation d’un glaive droit. Cet équipement est finalement très proche de celui que portait les armées hellénistes qu’affrontent les légions romaines lors de la conquête de l’Orient.
Au cours des munera le peuple romain a l’occasion de se remémorer ses victoires depuis le haut des galeries du forum et plus tard du cirque. Ainsi Rome, qui se croit sans cesse encerclée d’ennemis, pour le temps de quelques combats, inverse son idée du monde. En contraignant ses anciens ennemis à combattre, l’humiliation peut se teinter d’une admiration pour leurs valeurs guerrières… Rome n’en est que plus grande puisqu’elle a vaincu.
Une gladiature technique
Au cours du premier siècle a.v. J.C., un grain de sable vient se glisser dans ce spectaculaire mécanisme : Spartacus. Le gladiateur thrace s’échappe avec des milliers d’esclaves et met en péril pendant près de deux ans la sécurité romaine. On se rend alors compte que l’entraînement de milliers de prisonniers au métier des armes est potentiellement dangereux pour tous. Deux solutions s’offrent alors, arrêter la gladiature, chose impossible au vu de l’engouement des citoyens pour ce type de spectacle, ou changer le mode de recrutement.
C’est vers cette deuxième idée que partiront les lanistes (lanista = dirigeant d’un camp de gladiateurs) ce qui s’accompagnera lentement d’une évolution des armaturae. Plutôt que des prisonniers, ce sont des hommes libres renonçant à leurs droits qui descendront sur la piste. Ils y gagnent en échange une somme d’argent à leur arrivée, la protection du laniste, et un sort souvent plus enviable que la majorité des hommes libres en paradoxe à leur fin possible au cours du combat. En effet, la pauvreté à cette époque-là ne permet pas à tous de survivre, tandis que la mise à mort des combats se raréfie, pour au final donner au gladiateur une espérance de vie supérieure à celle d’une existence différente. La liberté attend ceux dont le maniement des armes est suffisant, ainsi qu’une coquette somme d’argent et la gloire. Autant de prétextes qui poussent les volontaires à vendre leur liberté. On les appelle auctorati ( auctoratus = « celui qui se vend »).
Dès cette époque, la mort n’est pas systématique car il existe une distinction manifeste entre le fait d’être vaincu et celui de mourir. Cela se justifie par le coût de l’entraînement et de l’entretien d’un gladiateur qui a fortement augmenté depuis l’abandon des prisonniers de guerre. En effet, égorger un gladiateur revient à détruire un investissement financier dans la grande majorité des cas. Il ne s’agit plus de verser le sang en l’honneur d’un défunt important mais aussi, et surtout, de donner satisfaction à la foule. La gladiature devient pour ainsi dire technique et sportive.
Cette évolution se met en place essentiellement entre la mort de César et celle d’Auguste, en même temps que se stabilise une profonde modification des armaturae. Ainsi apparaissent, comme une évolution naturelle du gladiateur samnite ou gaulois, le provocator ou le mirmillon, tandis que le gladiateur thrace n’évolue guère.
D’autres armaturae apparaissent ou, du moins, prennent plus d’importance comme l’eques (= cavalier) et l’essedère (essedarius = combattant sur char). Le second type de thrace, portant un bouclier rond, en s’équipant d’une lance, gagne le nom d’hoplomaque (hoplomacus). Cependant les combinaisons de combats ou de matériel passent avant tout par un phase de tâtonnement et d’expérience. Le meilleur exemple est le rétiaire, le fameux combattant au filet et au trident. En effet, non seulement il commence par combattre contre des évolutions du guerrier gaulois, équipés de différents boucliers, avant de rester en paire avec le secutor, mais il est équipé de deux grandes ocreae, d’une cote de maille (lorica hamata) et d’un casque. Il finira assez vite par échanger ocrea, cote de maille et casque contre un simple galerus (protection d’épaule se plaçant à gauche) afin de gagner en vitesse et agilité.
Quelques types de gladiateurs feront une brève apparition dans le cours de l’histoire avant de retomber dans l’oubli. C’est le cas de gladiateurs archers, les sagitarii et de gladiateurs aveugles (ou dont les yeux sont bandés) avec une cloche dans la main, les andabatae. Ces derniers devaient d’avantage être utilisés de manière burlesque pour ouvrir le spectacle et étaient considérés comme la lie de la gladiature.
Initiée au temps de César, cette évolution est globalement achevée au temps d’Auguste. On abouti à une gladiature professionnelle et sportive qui donne lieu à des « combats-spectacles » au centre des centaines d’amphithéâtres permanents que comptera l’empire au II° siècle de notre aire. Ne nous attardons pas davantage sur les panoplies qui ont véritablement atteint le zénith de la gladiature. Elles ont déjà été évoquées plus haut, et on les verra plus en détails plus tard.
Le déclin de la gladiature
A partir du troisième siècle, la gladiature prend un nouveau virage. Le contexte économique d’un empire qui repart en guerre oblige les munueraires à diminuer les investissements dans les spectacles. Il devient donc plus difficile de trouver des gladiateurs bien entraînés, on les remplace assez vite par des prisonniers de guerre, des brigands ou d’autres condamnés. Ceux-ci n’ont au mieux qu’un entraînement sommaire et de ce fait aucune affinité avec l’armatura qu’ils revêtent. Les combats deviennent violents et peu techniques. A l’inverse des I° et II° siècle, les mises à mort se généralisent et le public ne vient plus pour apprécier un duel mais pour assister à une mise à mort. Il arrive même que les deux combattants s’entretuent dans le combat, fin assez logique puisque l’arbitre est retiré de l’arène.
Les panoplies ont tendance à évoluer, dans le sens de la simplification. Les gladiateurs n’étant plus vraiment différentiables dans leurs techniques, ils le deviennent encore par leur équipement. Les casques ont tendance à s’uniformiser au IV° siècle. On ne reconnaît plus le thrace du mirmillon qu’au bouclier, pour peu qu’ils combattaient avec. Il semblerait qu’un certain nombre de combats se déroulait sans cette protection. L’effet obtenu est une augmentation de la violence et une fin rapide. Le rétiaire et le secutor semblent, au vu des mosaïques retrouvées, tirer leur épingle du jeu et supplanter les autres panoplies. Mais leurs représentations sont le plus souvent accompagnées de la mort ou de la mise à mort de l’un des deux précurseurs, fait inédit jusqu’à maintenant.
Les professionnels de la gladiature, des sportifs entraînés, sont remplacés par des amateurs. La technique est troquée contre la violence et le sang. Les spectateurs ravis assistent volontaires au déclin de la gladiature.
En 401, pour célébrer la préture de son fils, un riche romain n’arrive pas à mettre la main sur un seul gladiateur. L’empereur lui prête vingt-neuf prisonniers saxons qui préféreront un suicide en masse sur le sable plutôt que le combat. En 404, à la suite d’une échauffourée dans le Colisée, Honorius interdis formellement les combats. La prise de Rome par les Goths en 410 participe à l’extinction de la gladiature.
Voici l’origine de l’image caricaturale qui s’est généralisée à partir du XIX° siècle avec de la redécouverte de la gladiature par l’archéologie. Agrémentée des condamnations tardives de l’église, la gladiature nous apparaît le plus souvent bien assombrie par une fin peu héroïque. Pourtant, elle a connu un âge d’or, sur plus de trois siècles, qui mérite d’être davantage connu de tous.